Premier président de Guinée élu
démocratiquement, en 2010, Alpha Condé fait face à une large contestation
née de la volonté que lui prête l’opposition de faire adopter une nouvelle
Constitution. Cette dernière pourrait lui ouvrir la voie à un troisième mandat,
interdit par l’actuelle Loi fondamentale. Interrogé au siège de la présidence,
M. Condé, 81 ans, laisse planer le doute mais défend sa démarche.
Les manifestations du 14 octobre contre le projet de révision de la
Constitution se sont soldées par la mort de neuf personnes, au moins. Etes-vous
inquiet ?
Il peut se passer des choses beaucoup plus graves dans le monde et on ne dit
rien. Mais dès que c’est ici on dit : « Ah ! ça, c’est la Guinée »… Le
ministère de la santé a décidé que dès qu’il y a un mort, il faut qu’il y ait
une autopsie pour savoir qui a tiré. On fait des enquêtes. On sait que ce sont
eux-mêmes [les organisateurs des manifestations] qui tirent sur les gens. Quand
il y a des morts, ça impressionne la communauté internationale. Là, ce sont des
tentatives de déstabilisation d’un pouvoir démocratiquement élu. L’opposition a
toujours été putschiste et elle se dit que s’il y a des morts, on met ça sur le
dos du gouvernement.
La police, la gendarmerie n’ont aucune responsabilité ?
Nous allons faire des enquêtes. L’armée est consignée lors des manifestations.
J’ai convoqué tous les chefs de la sécurité et je leur ai dit que si un élément
tire, ce sont eux qui sauteront.
L’opposition refuse de participer au dialogue, comment sortir de la crise ?
Il existe un cadre de dialogue depuis 2016 réunissant majorité, opposition et
partenaires internationaux. C’est là qu’on doit se retrouver. Mais mon problème
est comment donner de l’emploi aux jeunes, toute leur places aux femmes et
améliorer les conditions de vie des couches les plus fragiles.
Dans ce contexte, votre projet de réforme constitutionnelle reste-t-il une
priorité ?
La Constitution précédente a été adoptée sans que le gouvernement soit associé
à sa rédaction. C’est un concentré d’intérêts corporatistes, à tel point que
l’on a été obligé de passer des accords politiques anticonstitutionnels. Elle
était le fruit d’un accord pour sortir vite du régime militaire [de Dadis
Camara en 2008-2009].
Après mon élection de 2010, j’ai estimé que la priorité était de relever le
pays qui était à terre. Ces derniers mois, ce n’est pas moi qui ai soulevé le
débat. Mais depuis un bon moment, beaucoup de gens disent que la Constitution
n’est pas bonne. Quand il y a un débat dans le pays, il y a toujours du pour et
du contre. J’ai donc demandé au premier ministre d’organiser des consultations
pour connaître les points de vue. Des gens manifestent contre, mais il y a
aussi beaucoup de monde dans les préfectures qui la veulent.
Le premier ministre vient de me remettre son rapport. Je déciderai. Si la grande
majorité de la population veut une nouvelle Constitution, je ne vois pas
pourquoi on ne le ferait pas. Nous sommes très portés sur notre indépendance et
notre souveraineté depuis 1958. La démocratie, c’est la voix du peuple. Si une
partie veut et une autre ne veut pas, on ira au référendum.
Quel est le calendrier ?
Je ne parle pas de calendrier. J’attends d’avoir vu le résultat des
consultations. Il y a seulement quatre partis [dont l’UFR et l’UFDG, les deux
principales formations de l’opposition] qui ne sont pas venus. La société
civile, le patronat, les syndicats… tout le monde est venu.
Donc vous n’avez pas encore décidé si oui ou non il y aura une nouvelle
Constitution ?
Je n’ai pas de conviction, je ferai ce que le peuple guinéen veut.
Envisagez-vous de vous représenter ?
La question ne se pose pas pour le moment tant que je n’ai pas fini mon mandat.
D’ailleurs, il n’a jamais été question de mandat – c’est l’opposition qui en a
parlé – mais d’une nouvelle Constitution. Dans ce cas, les partis décideront
qui sera leur candidat. Une minorité ne peut pas imposer sa volonté au reste du
pays.
N’y a-t-il pas d’autres pays où il y a de nouvelles Constitutions ? Où les
présidents peuvent faire un troisième mandat ? Pourquoi ne dit-on rien aux
autres ? Est-ce que la Guinée est le seul où un président en exercice fait une
nouvelle Constitution qui peut lui permettre de se représenter ? Pourquoi en
fait-on un scandale pour la Guinée ? On ne peut pas faire deux poids, deux
mesures. Les Guinéens n’accepteront jamais cela.
Nous ne sommes pas sur la planète Mars mais sur la terre africaine. Je me suis
d’abord consacré à sortir la Guinée du trou. Mais s’il y a un grand courant qui
demande une nouvelle Constitution… Dans les autres pays où il y a de nouvelles
Constitutions, il y a eu beaucoup de manifestations, il y a eu des morts, mais
ils l’ont fait.
Après les manifestations du 14 octobre, la communauté internationale a attiré
l’attention sur la nécessité de respecter le droit à manifester, la liberté de
la presse. N’est-ce pas une critique implicite ?
Le premier ministre a reçu tous les diplomates. Il leur a expliqué qu’on n’a
jamais interdit de manifester en Guinée mais qu’il faut respecter la loi. Ici,
la presse est plus libre que partout ailleurs, c’est presque l’anarchie. On
m’insulte, des hommes politiques m’insultent. Je ne les arrête pas. J’ai
dépénalisé la [diffamation par voie de] presse. Je n’ai jamais porté plainte
contre un journaliste même s’il raconte n’importe quoi. La communauté
internationale est dans son rôle de demander ça.
Pourquoi avoir fait bloquer par des véhicules blindés l’accès au domicile de
Cellou Dalein Diallo et de Sydia Touré, vos deux principaux opposants alors que
les manifestations étaient terminées ?
Leurs manifestations sont des échecs parce que les gens sont fatigués de tout
ça donc ils vont provoquer les forces de l’ordre et les accuser d’avoir tiré
sur eux pour dire qu’on a essayé de les assassiner ou de malmener des hommes
politiques. On connaît leurs pratiques. Donc c’est pour éviter ça et pour leur
propre protection.
A une année de la fin de votre deuxième mandat, avez-vous le sentiment
d’avoir accompli votre mission ?
Quand je suis arrivé au pouvoir, j’ai dit que j’avais trouvé un pays, pas un
Etat. Il n’y avait pas d’institutions, pas de police, pas d’armée. La priorité
était de résoudre les problèmes macroéconomiques. La banque centrale n’avait
pas un mois de réserve, l’inflation était à 21 %, on n’avait terminé aucun
programme avec la Banque mondiale qui nous appelait « le panier percé ».
L’épidémie de virus Ebola [2015-2016] est ensuite venue fatiguer notre
économie. Mais malgré tout on a atteint, juste après, une croissance à deux
chiffres qui n’est pas descendue, depuis, en dessous de 6 %.
La Guinée vivait alors du commerce. On importait tout. Aujourd’hui, on
transforme de plus en plus de produits agricoles, nous exportons du ciment.
Nous n’avions pas d’énergie, maintenant nous produisons des centaines de
mégawatts. . J’avais dit que je consacrerais mon deuxième mandat aux femmes et
aux jeunes. Je continue à tenir mes engagements
In Le Journal Le Monde